Vous pouvez retrouver ce texte dans l'ouvrage Ils ont vraiment tout pris
aux éditions du Sillage, en partenariat avec le service culturel de la Sorbonne,
aux éditions du Sillage, en partenariat avec le service culturel de la Sorbonne,
fruit du travail des ateliers d'écriture de
Dominique Barbéris.
Hopper, Hotel Room, 1931. |
Réaliser un pastiche de l'écriture de Modiano en s'inspirant d'un tableau de Hopper.
Dans la chambre de
Rosewood Hotel, elle traversait tant de nuits d’insomnie. Elle avait toujours
eu peur de prendre des somnifères, peur de ne plus jamais se réveiller. Elle
avait donc pris l’habitude de s’asseoir sur son lit et d’attendre que le sommeil
vienne la chercher.
Une fois, à Washington, mais c’était
ailleurs, vers deux heures du matin, elle n’en pouvait plus d’être assise sur
son lit à fixer le mur en face d’elle. Alors, elle était sortie. Elle avait
pensé que cette ville du pouvoir ne dormait jamais et qu’elle trouverait bien
un endroit où aller. Elle était entrée dans un Café. Un homme brun, grand et
mince l’avait suivie du regard. Il avait les yeux noirs. Il avait mis une pièce
dans le Jukebox. Moonlight Serenad.
Il l’avait invitée à danser. Elle l’avait considéré et lui avait donné sa main,
se laissant ainsi emporter sur la piste. Elle
pouvait enfin se laisser flotter. Oui avec lui, tout avait paru soudain
très simple.
Il lui avait demandé son prénom. « Helen
Brooks. » Il ne lui avait pas semblé bon de développer d’avantage. Il
attendait sûrement plus de détails. Par cette réponse si brève, Helen s’était
dit qu’elle ne l’encourageait pas du tout. De toute façon, cela lui était tout
à fait égal. Elle avait l’habitude de se méfier des gens. Une habitude qui lui
était restée. Ce type s’appelait Alejo Juanes.
A Hatton, en Virginie, dans sa
chambre du Rosewood Hotel, Helen pleurait. Était ce le souvenir de sa nuit à
Washington ? Ou la rencontre avec le regard noir de ce jeune homme grand
et brun ? Elle ne trouvait toujours pas le sommeil. C’était probablement
un cercle vicieux. Elle pensait donc ne trouvait pas le sommeil. Elle ne
trouvait pas le sommeil donc elle pensait. Réussirait-elle à s’en sortir ?
Peut-être. Le téléphone sonna. Qui pouvait bien vouloir lui parler ? Elle
était si loin. Elle décrocha et ne prononça qu’un « oui ? ». La
voix à l’autre bout du fil avait l’air mécanique. Une voix de femme. Sans
aucune émotion :
« Désirez-vous quelque chose à
boire ou à manger Mademoiselle Brooks ? Le room service est à votre disposition. N’hésitez pas à faire appel à
nous. »
Helen la remercia poliment. Elle
n’avait besoin de rien. Elle raccrocha.
« Mademoiselle Brooks ».
Son nom venait de résonner dans sa tête. Comme si elle l’avait oublié depuis
longtemps et que cette voix mécanique au téléphone lui avait rappelé. C’est
stupide après tout, pourquoi oublierait-on son propre nom ?
Elle se souvint de sa première interpellation.
Elle était en train de fumer. Elle marchait le long du trottoir pour rentrer
chez elle. Seule. Il était tard. Une femme aux vêtements provocants s’était
mise en travers de son chemin et lui avait agrippé le bras. Helen avait eu un
mouvement de recul, frappée par l’expression du regard de cette femme – une
expression de ressentiment qu’elle ne comprenait pas. L’hystérique l’avait
secouée et insultée. Helen ne savait pas pourquoi elle ne se défendait pas.
Elle avait reçu le poing de cette furie sans broncher. Elle était restée un
instant hébétée, puis, dans un accès de fureur, l’avait poussée violemment. La
femme aux vêtements provocants avait été projetée au sol. Sa tête avait heurté
une poubelle. Helen s’était bien rendue compte qu’elle avait réagi violemment,
peut-être trop, mais pour la première fois de sa vie, elle n’avait éprouvé
aucune gène, aucun remord. Elle n’avait plus cette crainte qui la tourmentait
depuis toujours en présence des autres d’être le « souffre-douleur ».
Non, elle avait réussi à se défendre. Elle ne serait plus jamais transparente
ni victime.
« Brooks Helen. Née à New York
d’un père et d’une mère inconnus. Logeant à Washington, au foyer de jeunes
filles Home of Providence. »
Elle avait décliné son identité à un gros policier barbu. Son nom ne lui
revenait pas. Le gros policier avait pris un mouchoir pour essuyer le sang qui
coulait de son nez. Ce sang avait si souvent coulé lorsqu’elle était au foyer.
Quand ses camarades ne la martyrisaient pas, elle se faisait réprimander par
les bonnes sœurs. Elle n’en pouvait plus. Elle avait rangé ce moment de sa vie
dans un tiroir de sa mémoire.
« Brooks ? Vous êtes
parente avec Louise Brooks ? »
Helen était restée sans voix. A ce
moment, elle entendait ce nom pour la première fois. Elle avait dit
« oui » sans grande conviction, plus par curiosité des conséquences
que par mensonge volontaire.
Le gros policier
l’avait libérée, sans savoir les raisons de la bagarre et Helen était partie,
soulagée. Il avait ce regard lubrique, celui que les hommes portent sur les
femmes pensait-elle. Elle avait compris ce jour-là que son charme pouvait
résoudre beaucoup de problèmes. Elle avait marché longtemps, en riant, en
songeant à la nuit qu’elle avait passée.
Mais là, dans sa chambre d’hôtel,
elle n’avait pas envie de rire. Elle ne pourrait jamais se débarrasser de la
pensée d’Alejo. Toute sa vie, ses yeux noirs la fixeraient dans l’obscurité.
Elle ne s’en détacherait jamais. L’autre souvenir, celui de cette bagarre, lui avait
fait oublier quelques instants cet homme qu’elle avait rencontré une nuit d’insomnie
dans un Café.
Il était maintenant trois heures du
matin au Rosewood Hotel. Elle regardait ses valises et ses vêtements épars.
Pourquoi toujours fuir ? Elle venait de retrouver une lettre. Toujours
assise sur son lit, Helen la tenait du bout des doigts, comme si c’était un
objet très fragile. Les mots s’étaient effacés. Son souvenir aussi. On pouvait
encore lire sa signature :
« De tu querido Alejo.
En Buenos Aíres, Argentina. »
Ces mots la ramenaient quelques
années en arrière. Elle vivait alors avec Alejo, l’homme aux yeux noirs. Elle
s’entendit les répéter en espagnol. Elle n’avait jamais su si le nom de famille
qu’Alejo lui avait donné était le vrai. Elle l’avait cru, simplement. Son
souvenir était flou. Elle s’était certainement forcée à oublier. On oublie
souvent ce qui est douloureux. Elle leva les yeux de sa lettre et les porta de
nouveau sur ses valises. Comment avait-elle pu être si naïve ?
Un jour, Alejo était rentré, affolé,
dans leur petit appartement. Il avait dit :
« Fais tes valises et pars te
cacher dans une petite ville. »
Helen avait bien cherché à obtenir
des explications de cet homme qu’elle aimait. Alejo gardait le silence. Il
avait toujours été mystérieux.
« Fais tes valises, je t’ai
dit. Il ne faut pas s’attarder ici sinon, on va avoir des problèmes. Deprisa por favor! »
Ils s’étaient quittés ainsi. Un
silence. Il l’avait embrassée et lui avait promis de la rejoindre au plus vite.
Combien de jours, combien de soirées avaient passé, sans nouvelle, dans cette
chambre d’hôtel ? Elle ne comptait même plus. Était il seulement encore en
vie ? L’avait-il réellement aimée ? Qu’avait-il bien pu arriver ?
Elle hésita un moment. Elle s’allongea, la lettre contre la joue et rêva que
demain, ce serait lui qui l’attendrait au bas de l’hôtel.
Excellent. Le pastiche est une forme de beau compliment.
RépondreSupprimerMerci beaucoup !
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